Après un mercato estival qui aura rarement aussi bien porté son nom de « marché mondial du football », le panorama footballistique européen a une nouvelle fois été largement redessiné. Les transferts à tout va aux montants faramineux renforcent chaque année ce sentiment irréfutable et alarmant. Le milieu du foot semble aujourd’hui être un monde plus incertain et superficiel que jamais, démuni de tout honneur et éthique, et de plus en plus motivé par une seule et unique chose : l’argent.
La saison a désormais repris depuis près de deux mois, et on commence à peine à s’habituer à voir Messi sous la tunique parisienne, ou à revoir CR7 fouler les pelouses de Premier League tous les week-ends, que la mi-saison approche déjà. Une fois de plus, cet été, le mercato a réservé son lot de coup de théâtres. Et alors qu’il y a quelques années, les « gros coups » représentaient une portion rare d’exceptions à la règle, les transferts pharamineux sont désormais le quotidien des mercatos depuis quelques saisons.
Car depuis l’arrivée de Gareth Bale - premier joueur de l’histoire transféré pour plus de 100 millions d’euros - au Real Madrid en 2013, les montants des transferts n’ont fait que grimper sans limite ou presque. Les arrivées historiques de Neymar (222 millions d’euros) et Mbappe (180 millions d’euros) au PSG en 2017 semblent avoir banalisé les transactions à plus de 100 millions d’euros sur le vieux continent – désormais nombreuses et récurrentes – alors même que seulement 3 joueurs dans l’histoire avaient coûté plus de 75 millions d’euros avant le l’arrivée de Balle au Real. Et, si à l’époque le transfert du percutant ailier gallois avait suscité la fascination de tous face à ce moment d’histoire, personne ne pouvait imaginer la terrible inflation des prix du marché qui allait en suivre, et les conséquences que celle-ci allait avoir sur le monde du ballon rond.
Gareth Bale aux côtés de Florentino Pérez lors de sa signature au Real Madrid.
Un Football qui s’écarte de ses valeurs fondamentales
Car oui, aujourd’hui le football est plus que jamais régi par la loi du plus fort. Et le plus fort aujourd’hui, ce n’est autre que le plus riche. Si elles ne sont pas encore éteintes, les valeurs d’honneur et d’éthique sont dans l’esprit des joueurs et des dirigeants de club en forte voie de disparition. La mondialisation et l’arrivée massive d’investisseurs étrangers ont complètement chamboulé les hiérarchies footballistiques ces dernières années. Les clubs sont rachetés à tout va, remettant ainsi en cause l’intérêt même du jeu. Le PSG (Qatar Sports Investments) ou encore Manchester City (City Football Group) en sont les exemples les plus criants, et le modeste Newcastle, qui vient tout juste d’être racheté par le Fonds souverain d’Arabie Saoudite (PIF) - plus puissant investisseur jamais connu dans le monde du football -pourrait bientôt les rejoindre. Les clubs parisiens et mancuniens qui n’étaient rien il y a d’ici une décennie sont à coup sûr aujourd’hui les deux institutions les plus puissantes et influentes du vieux continent, posant par ailleurs la question de la légitimité de leur succès. Pourquoi eux et pas les autres ? Ces deux clubs n’ont construit leur succès récent sur rien si ce n’est d’avoir eu la chance d’être rachetés par un richissime propriétaire oriental, leur permettant aujourd’hui d’investir en masse et d’arracher au reste du continent les meilleurs joueurs du monde.
Le recrutement de stars plutôt que la formation d’étoiles montantes
Ce sentiment d’injustice qui anime leurs concurrents et leurs supporters n’a jamais été aussi fort, et à raison. Il y a encore 15 ans, être un grand club de football reposait davantage sur la gestion interne du club et la capacité des clubs à faire émerger de grands footballeurs dans les centres de formation. Les grands clubs du passé reposaient en effet largement sur des purs enfants de clubs, et les exemples en ont sont nombreux. L’Ajax de Cruyff, l’AC Milan de Maldini, Baresi & Cie, le Manchester United de Scholes, Giggs et Beckham ou encore plus récemment, le grand Barça de Messi, Xavi ou Iniesta. Aujourd’hui, les sentiments ont disparu, et les belles histoires d’amour aussi. Les grands clubs sont ceux qui ont de l’argent et sont donc les seuls à pouvoir obtenir les meilleurs sur le terrain. Les institutions les moins puissantes économiquement et leurs joueurs ne peuvent alors résister aux offres toujours plus pharamineuses proposées par les clubs les plus riches. Théo Maturel, fervent supporter du RC Lens, actuellement dauphin du PSG en ligue 1, s’inquiète justement de voir les meilleurs joueurs de son équipe quitter le club si les « sang et or » continuent sur leur lancée : « C’est la grosse crainte que j’ai. En fin de saison, on craint pour Fofana et pour Clauss qui est annoncé en équipe de France mais devra rejoindre un grand club pour y accéder. Et s’il est amené à partir, la saison prochaine sera très compliquée, tout comme si Fofana ou Kalimuendo partaient, c’est toute la colonne vertébrale du club qui se casserait la figure ». Mais acheter à tout va ne réussit pas à tout le monde, et le FC Barcelone en est l’exemple le plus criant. Lui qui était le meilleur club du monde il y a 10 ans, n’est plus que l’ombre de lui-même après s’être endetté aux suites d’une politique de recrutement massive peu concluante (Dembele, Coutinho et Griezmann ont couté à eux trois près de 385 millions au club).
Les joueurs ont perdu leur amour du maillot
Néanmoins, toutes les certitudes ont désormais disparu. Un joueur peut déclarer son amour inconditionnel pour un club un jour et s’en aller ailleurs pour un meilleur salaire le lendemain. Rien que cet été, les nombreux transferts confirment cette tendance alarmante. Certains d’entre eux, impensables il y a quelques mois, ont eu lieu, et si tous ne répondent pas à cette logique économique – on peut notamment penser à Messi et Ramos qui ont clamé leur volonté de rester dans leur club de cœur - la plupart restent éthiquement peu entendable. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si l’ancien défenseur du Real et « La Pulga » ont rejoint la capitale parisienne : le PSG était certainement le seul club à pouvoir assumer les salaires pharamineux – respectivement 41 millions et 15 millions d’euros par an -des deux joueurs. Et de nos jours les footballeurs préfèrent être mieux payés dans le sixième championnat européen plutôt que de l’être moins dans le meilleur. De Donnarumma au PSG à Sancho à Manchester United, en passant par Calhanoglu à l’Inter ou, plus anciennement, Griezmann au Barça, la liste serait trop longue à énumérer, mais les exemples de « trahisons » ou de départ aux motivations sportives douteuses sont nombreux.
Donnarumma n'est pas un titulaire indiscutable depuis son arrivée à Paris.
Le projet sportif n’est plus l’unique préoccupation des clubs
Les capacités des clubs à investir et le relâchement du fair-play financier ne semblent aujourd’hui donner aucune limite aux grands clubs pour s’attacher les services des grands joueurs. Les institutions sont désormais prêtes à faire des emprunts considérables et à s’endetter auprès de fonds d’investissements extérieurs pour recruter en masse ou à des prix pharamineux, donnant le sentiment que n’importe quel joueur peut partir, à n’importe quel moment. Car il n’est désormais plus uniquement question de construire une équipe pour les clubs, sinon d’aligner le plus de star dans une optique commerciale. A Paris, quel intérêt de garder autant de stars offensives dans un effectif qui souffre davantage de cette guerre d’égaux qu’elle n’en tire profit, et de supporter leurs salaires colossaux, si ce n’est pour donner de la visibilité au club, augmenter le montant de leurs droits à l’image et vendre des maillots ? Certes, Messi, Neymar, Mbappe & Cie sont d’immenses joueurs, et il veut mieux les avoir en tant que coéquipiers qu’adversaires, mais comment aligner une équipe sportivement compétitive avec tant d’individualités fortes ? La rhétorique est similaire pour Manchester United, qui dispose d’une tripotée de top joueurs en attaque et continue de recruter à prix très élevé dans ce secteur – Sancho est arrivé cet été pour 80 millions d’euros, accompagné de Ronaldo, dont le salaire s’élève à 26 millions d’euros par an – sans réelle logique sur le plan sportif. Philippe Auclair, chroniqueur chez Eurosport, l’affirme : « La stratégie [de Manchester United] est commerciale avant d’être sportive. L’accent a été mis sur les performances commerciales, qui restent excellentes et tiennent la comparaison avec Manchester City et Liverpool. Mais il n’y a pas de stratégie sportive à long terme ». De quoi faire réfléchir sur la triste mentalité des dirigeants de certains grands clubs actuels…
L'armada de stars parisiennes nuit à la cohésion collective de l'équipe du PSG.
Car le Football reste un sport unique, capable de rassembler les peuples et unir des nations entières derrière une cause commune, celle d’une équipe, de 11 joueurs, qui représentent, l’espace de quelques 90 minutes, toute une ville, tout un pays, tels un seul homme. Comme peu de sport, il est capable de susciter la joie comme les pleurs d’un pays entier, de faire de deux supporters qui ne se connaissent pas les meilleurs amis du monde, ou les pires ennemis, l’espace de quelques instants, ou de toute une vie. L’amour que portent certains supporters pour leurs joueurs est incommensurable. La fidélité, l’honneur et les exploits de certains d’entre eux leur ont donné un véritable statut de légende, de dieu vivant dans certaines des villes les plus emblématiques du Football. Totti, Xavi, Maradona, Gerrard, Maldini, autant de légendes que de souvenirs, tous adoubés au sommet de leur gloire, et tous pleurés au moment de leur départ. Aujourd’hui, leur espèce est voie d’extinction, si elle n’a pas encore disparu. Quand l’honneur et l’amour du maillot prévalaient avant, c’est désormais l’argent, qui fait sa loi maintenant. Et même si les quelques Koke et autres Lorenzo Insigne ont encore un semblant d’honneur, quand certains joueurs nous laissent espérer que le romantisme n’a pas complètement disparu – l’histoire de Donnarumma à Milan était belle - la réalité refait surface, et avec elle, la déception de tout un peuple.
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